Février 2024
Lettre de Veille économique agricole Spéciale Marchés 2023
De la nécessité d’élargir la notion de performance
Les agriculteurs viennent de se mobiliser dans un mouvement de protestation d’ampleur. Ces événements témoignent probablement davantage des difficultés à trouver un sens à toutes les injonctions réglementaires, sociétales et commerciales dont la cohérence n’est pas toujours évidente, que de difficultés économiques généralisées.
Pour autant, après la flambée des deux dernières années, les coûts de production ne refluent que partiellement. Si les prix de l’énergie et des engrais sont retombés, il est difficile d’imaginer un reflux pour le matériel, les services et la main-d’œuvre. Il ne serait donc pas tenable que les prix des produits agricoles reviennent à leur niveau d’avant Covid.
Sur le plan économique, 2023 aura été une bonne année pour l’élevage mais plus contrastée pour les cultures.
En élevage (bovins lait et viande, porcs), des volumes d’offre en baisse (en France et en Europe) soutiennent les prix malgré la tendance au recul de la consommation. Les bons résultats des dernières années ne génèrent pas l’optimisme des éleveurs : le secteur n’attire pas suffisamment et la décapitalisation se poursuit. Cette embellie est pourtant l’occasion de prendre des options pour l’avenir : autonomie alimentaire et allègement de la pression travail en élevage laitier ; investissement bien-être animal et autonomie financière en élevage de porcs ; adéquation à la demande en élevage bovin allaitant.
En grandes cultures le ciseau des prix et des coûts affecte particulièrement les zones intermédiaires aux potentiels pédoclimatiques les plus modestes et qui sont aussi celles les plus sensibles aux phénomènes de sécheresse et d’évolution des chaleurs estivales.
La recherche de systèmes plus résilients du point de vue agronomique (la santé des sols est un enjeu désormais crucial dans ces territoires) portés par quelques activités génératrices de valeur semble une voie à privilégier. L’arboriculture et la viticulture vivent également déjà à l’heure du changement climatique. Dans toutes les productions, le bio souffre d’une baisse de demande.
Le secteur n’est plus épargné par les à-coups de la conjoncture, signe qu’un premier palier de maturité de ce marché a été atteint.
En lait, les résultats se maintiennent mais l’excédent d’offre demeure. En grandes cultures, l’excédent d’offre représente désormais un an de production. Il faut tenir pour passer une période d’adéquation qui ne se résorbera que lorsqu’une nouvelle dynamique de consommation aura été lancée. Les mesures qu’annoncera le gouvernement en ce début d’année montreront ou non si un coup de frein est donné aux instruments réglementaires de transition agro-écologique. Mais elles n’effaceront pas le changement climatique, l’appauvrissement des sols et la finitude des énergies fossiles. Les sujets d’énergie, d’eau, de carbone, de biodiversité et de santé ne pourront que rester au cœur des décisions politiques.
Plus que jamais les stratégies des entrepreneurs appellent des choix qui dépassent la seule rationalité économique. Les décisions vont nécessairement considérer ensemble :
• La capacité à créer de la valeur sur le long terme, par l’attention portée à la fertilité des sols, à l’usage raisonné de l’eau et à la dépendance aux intrants de synthèse ou aux énergies fossiles ; à la mobilisation des ressources humaines par la rémunération, la qualité de l’organisation et la santé au travail ; et bien sûr à la trajectoire économique et financière ;
• La robustesse du système de production, en trouvant un équilibre entre la diversité des productions (dans l’espace et dans le temps, sans négliger des activités accessoires), la constitution de stocks et de réserves, l’autonomie de production et de maintenance, et la capacité d’adaptation en compétences et moyens partagés ;
• Et la confiance des parties prenantes quant aux contributions de l’exploitation au territoire (qualité paysagère et d’accueil, politique d’achats et de ventes, création d’emploi) et aux besoins des populations (alimentation, matériaux et énergies biosourcés, préservation des biens communs) ; ces contributions peuvent être matérialisées par des engagements contractuels ou des certifications.
C’est ce que nous appelons construire son projet dans une perspective de performance globale.