Paroles d'agriculteur
PAC 2023 : 1 an après
Publié le 05.02.2024
Effets inattendus de la PAC 2023 sur le GAEC de Servillat
Après la récente réforme de la PAC, en Bresse bourguignonne, la majorité des exploitations agricoles n’a pas eu à adapter son système pour respecter la nouvelle conditionnalité et percevoir les éco-régimes. Au GAEC de Servillat, la famille Gaudet, quant à elle, a dû revoir son organisation bien rôdée.
La réforme de la PAC 2023 était annoncée encore plus verte que la précédente. De quoi inquiéter Jean-François Gaudet. Il craignait, comme ses voisins, un virage difficile à prendre. Pourtant, beaucoup d'agriculteurs n'ont pas eu à transformer leur système. Ce ne fut pas le cas de Jean-François, sa femme et leurs deux fils, installés en GAEC. Ils ont dû mettre en balance l'autonomie alimentaire de leurs élevages et les aides de Bruxelles.
Une recherche constante d’autonomie et de valorisation
Jean-François exploite, avec son épouse, leurs deux fils et un apprenti, 220 hectares à Varennes-Saint-Sauveur, en Bresse bourguignonne. Ce territoire de lait et de maïs se caractérise par des terres argileuses et de nombreux étangs. La ferme produit 1,35 million de litres de lait par an avec 150 vaches et engraisse 2 500 porcs. Le GAEC a grossi au gré des installations, mais sans perdre de vue l’autonomie du système et son efficience. L'atelier porc, créé en 2003, permet de mieux valoriser le maïs. Jusqu’à l’année dernière, l’assolement comptait 70 hectares de prairies permanentes, 87 hectares de maïs et 63 hectares de céréales à paille. Un mélange de ray-grass et de trèfle s’intercale entre le blé et le maïs, afin de permettre, en deux coupes, de produire un fourrage d’excellente qualité. Les besoins en protéines pour les porcs étaient complétés par du lactosérum de la région et 200 tonnes de tourteau de soja importées. Jean-François précise : « Vendre pour acheter, c’est s’embêter pour rien. On a meilleur compte d’être autonome ! »
La PAC, un amortisseur que l’on ne peut pas négliger
L’autonomie du système et la diversification des ateliers permettent de sécuriser l’entreprise et d’atténuer l’effet des chutes des cours ou des sécheresses. Les aides européennes n’ont pesé que 5 % dans le produit de l’exploitation en 2022. Toutefois, certaines années, elles représentent une part significative du revenu. Avec leur organisation, Jean-François, Valérie, Julien et Louis risquaient de ne plus percevoir le paiement vert (17 500 €). En effet, étant basé sur des prairies permanentes, une culture de printemps (maïs) et des céréales d’hiver, leur assolement ne leur permettait de réunir que 3 points dans le nouveau système éco-régime. Atteindre 5 points aurait pu leur permettre de percevoir 18 650 €, selon les estimations de l’été 2022 (avec un éco-régime de niveau supérieur d’un montant prévisionnel de 82 €/ha*).
La quête de l’éco-régime
Pour y parvenir, plusieurs possibilités ont vite été écartées : les terrains sont trop humides et acides pour cultiver de la luzerne, la conversion de terres labourables en prairies aurait fortement dégradé l’autonomie énergétique, l’introduction de 10 hectares de colza obligeait à réduire d’au moins 10 hectares la surface de maïs, et n’était pas compatible avec la production d’interculture. La solution altérant le moins leur autonomie était de remplacer au moins 5 hectares de maïs par du soja.
Ils ont donc semé 7 hectares de soja au printemps 2023, qui, par ailleurs, bénéficient de l'aide couplée aux protéagineux. Cette décision les a contraints à acheter une partie du maïs qu’ils produisaient auparavant. « Nous avons récolté 35 tonnes de maïs grain humide chez un voisin, ce qui nous a permis de trouver la quantité et la qualité dont nous avions besoin », confie Jean-François. L’autonomie alimentaire de l’atelier porcin est diminuée, les stocks de report réduits. En 2023, l’opération devrait dégager, une fois comptés les économies d’engrais, la vente du soja, l’achat du maïs et le versement des aides, environ 14 000 € de plus que si le système précédent avait été reconduit.
Une évolution de la conditionnalité qui complique la gestion agronomique
Les précédentes réformes de la PAC avaient été plutôt avantageuses pour l’entreprise : la révision des règles de transparence, l’élargissement de la zone ICHN (indemnité compensatoire de handicaps naturels) ont permis d’augmenter les montants perçus. En 2023, outre des changements liés aux éco-régimes, l’évolution de la conditionnalité a également apporté son lot de contraintes techniques. Ainsi, l’obligation d’implanter les couverts avant le 20 août en Saône-et-Loire, devrait entraîner, du fait des températures élevées, une première fauche trois mois plus tard, en novembre. Cette année, les précipitations ininterrompues ne l’ont pas permis. Cela complique la gestion agronomique, déjà largement perturbée par le changement climatique. Louis rappelle que « chaque année on se fait peur, car le maïs est semé tard, autour du 15 mai, sur des terres asséchées. »
Pourtant, les répercussions des obligations réglementaires peuvent aussi être positives. Ainsi, souligne Jean-François, « l’obligation d’implanter une interculture sur les maïs en zone vulnérable s’est révélée excellente pour la structure du sol. L’avoine implantée en interculture et broyée amène de l’humus. »
Selon Julien, le plus difficile à supporter dans la PAC est « la hantise du contrôle ». Même si leur dernier contrôle s’est bien passé, ils ont la crainte constante de mal interpréter une réglementation et de voir le versement des aides suspendu.
L’autonomie, une affaire à suivre
En 2023, Jean-François garde un œil rivé sur les cotations du maïs, l’autre sur les versements de Bruxelles. Même avec un rendement du soja de 20 q/ha, un montant d’éco-régime de 60 €/ha, et un ratio prix du soja/prix du maïs de 1,5, l’opération permettrait encore de gagner environ 9 000 € de plus qu’en arrêtant le soja.
Toutefois, la recherche d’autonomie passera certainement par une autre voie. En effet, le soja produit sur la ferme en 2023 a été vendu à un groupement de coopératives. Il alimentera l’usine de trituration qu’elles sont en train de construire dans l’Ain. Le tourteau devrait être vendu aux éleveurs laitiers engagés dans des filières AOP. Jean-François espère qu’à terme, du tourteau sera disponible pour les autres filières. D’autant plus que ses acheteurs évoquent leur intention d’encourager les éleveurs à utiliser du tourteau français, moins émetteur de gaz à effet de serre. La boucle serait-elle alors bouclée ? Il faudrait tout de même 200 hectares de soja pour atteindre l’autonomie protéique totale des deux cheptels !