Paroles d'agriculteur
Le travail en famille
Publié le 06.11.2023
Au GAEC du Goutay, le travail en famille a bon goût !
Au GAEC du Goutay, Serge Mirmand, le père, Fabien et Lionel, les deux fils, exploitent 165 hectares en système spécialisé bovin lait depuis quelques années. Bientôt, Florian Martel, le cousin, aujourd’hui en stage de parrainage sur l’exploitation, deviendra associé. C’est une occasion pour eux de revisiter le plaisir et les avantages, mais aussi les règles et les exigences du travail en famille.
Au lieu-dit Concis, à Solignac-sur-Loire, en Haute-Loire, le GAEC du Goutay produit un peu plus d’un million de litres de lait en système de traite robotisée, ainsi que des lentilles vertes du Puy. C’est un développement considérable de l’exploitation que Serge aura connu depuis son installation en 1986 avec, à l’époque, un quota de 120 000 litres de lait. Après l’installation de Fabien en 2009, puis de Lionel en 2014, les rouages du fonctionnement sociétaire et du travail en famille sont ici bien huilés et le système fonctionne comme une horloge, avec le concours discret, mais néanmoins précieux, de Geneviève, épouse de Serge, qui veille au grain. Mais l’horloge indique que l’heure du départ à la retraite approche pour Serge. Et le sujet est clair entre les deux frères : ils ne conduiront pas, à deux, une structure qui nécessite d’être trois et qui est capable de dégager du revenu pour trois !
Une phrase anodine de Coralie, la femme de leur cousin Florian, va amener Fabien et Lionel sur une nouvelle piste de réflexion. Florian, alors conducteur de travaux chez un paysagiste et installé à Lyon avec Coralie et leurs deux filles, a très envie de revenir sur la terre natale de sa mère. Au détour d’une conversation, Coralie s’en fait le relai auprès des deux frères, qui y voient alors l’opportunité de trouver un troisième associé. S’en sont suivis de longs échanges, d’abord en famille, puis en présence de leur conseiller pour construire, tout doucement, l’éventuel projet de Florian. Et tout semble parfaitement s'accorder : les potentiels futurs associés partagent une vision commune du projet et du métier ; la famille de Florian est d’accord pour quitter Lyon ; Coralie, préparatrice en pharmacie, retrouve un emploi en Haute-Loire ; l’employeur de Florian accepte une rupture conventionnelle lui permettant de sécuriser son départ et, cerise sur le gâteau, Florian reprend la maison que ses grands-parents avaient transmise à leur fille dans le village même où se trouve l’exploitation. Pour se donner toutes les chances et éviter de se tromper, les associés font le choix de proposer à Florian un stage de parrainage. Pendant toute cette période, ils fonctionnent comme s’ils étaient 4 associés, abordent tous les sujets ensemble, sans tabou, prennent le temps de construire leur projet commun et de revisiter leur organisation.
Une vision partagée sur l’essentiel
Parmi les points abordés se trouvent évidemment la vision du métier et le projet pour l’exploitation. Fabien nous précise : « Il était essentiel que l’on soit d’accord sur le sens que l’on donne au travail, que l’on n’oublie pas de se faire plaisir. On a discuté des objectifs et des évolutions éventuelles. Nous sommes tombés d’accord sur le fait de prioriser l’adaptation de l’exploitation aux changements, le maintien d’un bon niveau de revenu et l’amélioration de nos conditions de travail plutôt que d’envisager de nouveaux développements qui engen-dreraient plus de travail. Notre objectif commun est la recherche d’un équilibre global dans lequel on puisse garder du plaisir à exercer notre métier ».
Un lien étroit, mais bénéfique, entre vie professionnelle et vie privée
Quand on regarde la famille Mirmand/Martel fonctionner, le lien intime entre vie professionnelle et vie privée apparaît vite comme une réelle osmose. Les montages vidéo réalisés par Lionel et Florian, qui entremêlent moments de convivialité en famille et travail sur la ferme, en témoignent. Le tableau blanc destiné aux filles de Florian, juste à côté du tableau de gestion des tâches, également. Chacun semble avoir trouvé sa place dans cet environnement, y compris Coralie qui, bien qu’elle ne participe pas aux travaux de la ferme ni aux prises de décisions, a pris part aux rendez-vous de présentation des comptes dans le cadre de la préparation du projet de Florian. Et Serge de préciser : « Il était important que Coralie soit également impliquée dans le projet au démarrage ».
Après 15 mois de stage de parrainage et à la veille de son installation, Florian constate : « En changeant de métier, je fais plus d’heures mais je vois plus mes filles qu’avant. Mes filles aiment la ferme, elles connaissent toutes les vaches. Ce projet est un projet de vie, un projet de famille. Je n’ai pas seulement changé de métier, nous avons aussi changé de mode de vie ».
Pour maintenir un équilibre entre vie professionnelle et vie privée, les associés ont assez rapidement abordé la question du rythme de travail. Chaque associé dispose d’un week-end sur trois (du samedi midi au lundi matin) et de 10 jours de congés annuels. L’organisation a été calée pour que la journée se termine à 18h30, 19h00 au plus tard.
Des règles à respecter
Le maintien de cet équilibre nécessite une certaine rigueur dans l’organisation. « On a fixé une règle et on s’y tient. Si on a un problème le week-end, on se débrouille ». Et Fabien de se rappeler : « Avant l’arrivée de Florian, l’alternance des week-ends était prévue mais on ne s’y tenait pas. Désormais, nous sommes rigoureux sur ce point. Pour les congés, il faudra que l’on sache faire appel au service de remplacement si besoin et puis mon père gardera un contrat de travail en cumul emploi-retraite pour nous soulager un peu ».
Une bonne communication
La communication est une des clés de la réussite d’une collaboration et les associés le savent bien. « Plus on est nombreux et plus il faut se parler, car il y a un risque d’oubli dans le transfert d’une information ». Les associés se sont dotés de quelques outils pour limiter le plus possible les loupés qui peuvent vite venir gripper le système et générer des tensions, surtout dans les périodes de fortes charges de travail. Un agenda partagé a été mis en place dès l’arrivée de Florian : tous les rendez-vous et événements y sont notés, ainsi que l’alternance des week-ends. Un groupe de messagerie a également été créé pour que chacun puisse avoir le même niveau d’information. Parmi la liste des incontournables : une seule boîte mail pour le GAEC « Tout passe par là »… et le fameux tableau avec la liste des choses à faire dans le bureau, actualisée quotidiennement.
Les associés font une réunion chaque matin en partageant le petit-déjeuner. Si chacun connaît ses tâches récurrentes, ce point quotidien permet de finir de caler l’organisation de la journée et de l’ajuster selon la météo. Pour les décisions plus stratégiques, une réunion spécifique est calée dès que nécessaire. « Il y a des moments chauds ! Par exemple, en période de forte activité, quand nous sommes fatigués, pour les prises de décisions tactiques qui doivent se gérer dans l’urgence (faucher ou ne pas faucher ?)… mais Serge nous laisse décider, du coup, on est un nombre impair, ça permet de trancher. Et puis, il faut se rappeler qu’on a tous l’intention de bien faire : il faut partir de ce principe-là ».
Voir loin et garder en ligne de mire ses objectifs
Avec l’arrivée de Florian, le GAEC du Goutay se donne les chances de pérenniser un bel outil de production et de maintenir de bonnes conditions de travail. Pour en arriver là, les associés ont su anticiper et être suffisamment clairs sur leurs objectifs pour rester ouverts aux opportunités. Lors de l’évaluation des parts sociales, ils ont su faire des choix cohérents pour rester à trois sur la structure et prendre en compte la dimension économique du projet. Serge nous explique : « Le but était de rester à trois associés et il ne fallait pas assommer Florian si on voulait que son projet soit réalisable ». Par ailleurs, pour partir sur une base saine, la situation financière du GAEC le permettant, ils ont partagé les réserves et soldé une large part des comptes associés avant l’arrivée de Florian de manière à partir avec une situation la plus équilibrée possible.
Respect et bienveillance : les maîtres-mots
L’équilibre que la famille Mirmand/Martel semble avoir trouvé doit certainement beaucoup à des valeurs de bienveillance et de respect mutuel, bien ancrées ici. En témoigne la posture de Serge, qui, bien que connaissant tous les rouages de l’exploitation, est en recul pendant nos échanges. « Ça s’apprend ! » nous dit Serge, « Il y a des moments où l’on a trop donné, alors il faut apprendre à savoir lâcher… pour que les jeunes fassent leur expérience et apprennent le métier de leurs réussites et de leurs erreurs ».