Paroles d'agriculteur
Innover différemment
Publié le 01.08.2022
Paroles d'agriculteur : Innover différemment
Les frères Giret, cultivateurs et innovateurs, travaillent en partenariat avec deux apiculteurs installés sur leur terrain. L’écoute, l’entraide et la bonne intelligence partagée apportent à chacun de meilleures conditions de travail. Curieux et ouverts, ils se sont également lancés, il y a deux ans, dans la production de bambous. Cette nouvelle activité est un pari sur l’avenir et vient s’ajouter à la culture plus traditionnelle de céréales.
Quand l’ouverture d’esprit mène à l’innovation
À quelques kilomètres de Poitiers, dans une grande exploitation céréalière de 430 hectares, Emmanuel et Xavier Giret font preuve d’audace et de sérénité. Les problèmes de l’exploitation ne sont pas moins importants qu’ailleurs mais ils sont bien anticipés. Ici, on essaie de trouver des solutions aux problèmes avant même qu’ils n’arrivent ! Cela nécessite des remises en question, des expérimentations et une forte dose d’innovations, qu’elles concernent les techniques culturales, la mécanisation, l’organisation du travail ou la collaboration avec d’autres activités comme l’apiculture.
Des conditions agronomiques complexes
En production végétale, l’agronomie est l’élément essentiel de réflexion. L’Earl Giret exploite une grande surface dans des conditions agronomiques délicates. La majorité des terres sont hydromorphes. Elles ont été drainées au fil du temps : « Nous en sommes au deuxième drainage. Et après plus de trente ans, la qualité du drainage s’est détériorée » explique Emmanuel Giret. Parallèlement au drainage, l’irrigation est arrivée à un potentiel de 170 hectares arrosables. Pourtant, il y a dix ans, à contre-courant des méthodes pratiquées par les autres céréaliers du Poitou, les frères Giret décident d’arrêter l’irrigation. Il fallait oser ! Leur stratégie consiste alors à privilégier l’amélioration des sols, limiter les contraintes de travail l’été mais aussi les coûts et la culture du maïs dont les prix étaient au plus bas. L’orientation vers une agriculture de conservation est la réponse apportée par les deux céréaliers. Le travail du sol est repensé, les assolements sont modifiés, le matériel est adapté à ces nouvelles conditions culturales. Emmanuel et Xavier précisent : « Nous avons fait quelques formations pour engager ces changements, mais l’essentiel de nos décisions ont été prises en observant l’état de nos sols, en tâtonnant souvent pour trou-ver le bon équilibre entre productivité et améliorations agronomiques. Chez nous, l’arrêt de l’irrigation a contribué à l’amélioration de nos sols. On a augmenté le taux de matière organique, ce dont on est assez fiers. »
Le bambou, une innovation culturale
L’autre challenge des deux frères était d’augmenter la valeur de l’exploitation. Ils souhaitaient mettre en place une culture très différenciante des assolements classiques pour dégager une forte valeur ajoutée. Après plusieurs recherches, un article sur la production de bambous, et tout particulièrement sur les pousses de bambous comestibles, attire l’attention de Xavier : « Par la suite, nous sommes allés voir un producteur français. Le propriétaire des plants était un italien qui avait sélectionné les cultivars avec un chercheur chinois. Nous avons investi 40 000 euros pour 1 hectare de plantation, il y a deux ans. Heureusement, nous avons conservé nos volumes d’eau ce qui nous permet d’irriguer les bambous mais aussi d’autres cultures spéciales. On en utilise très peu. Pour le suivi cultural, il y a peu de connais-sance donc on s’adapte et on cherche les bonnes pratiques, notamment pour le nettoyage de la parcelle qui reste manuel. Nous pourrons récolter les pousses de bambous comestibles d’ici deux ans, c’est un investissement à long terme. Nous allons aussi valoriser les tiges et les chaumes pour lesquelles un marché se développe. La récolte a lieu au début du printemps pour des pousses bien tendres. » Le pari est audacieux mais le business plan est calé sur un contrat de dix ans avec l’entreprise italienne qui s’engage sur les prix de reprise et la commercialisation des pousses de bambous. Les innovations entraînent toujours une part de risque, toutefois Emmanuel et Xavier assument totalement leur diversification.
Du miel, une innovation partenariale
C’est l’histoire d’une rencontre qui aurait pu tourner court tant les rapports entre agriculteurs et apiculteurs peuvent parfois être tendus. Lorsque Pierrick Pétrequin aborde Xavier pour la première fois, ce dernier est en train de pulvériser dans une parcelle de blé au fond d’un champ. La rencontre est cordiale. Xavier ne sait pas que Pierrick est apiculteur, il le découvrira plus tard. Pierrick engage la conversation, pose des questions sur les traitements effectués par Xavier, leur périodicité, les types de produits appliqués, les matières actives utilisées puis lui parle de son activité d’apiculteur. L’échange est bienveillant et Pierrick fait part de ses besoins d’emplacements pour y déposer ses ruches. L’Earl Giret est propriétaire d’un grand bois d’une cinquantaine d’hectares qui intéresse rapidement le producteur de miel. Cette rencontre va déboucher sur un véritable partenariat gagnant-gagnant. D’autant plus que Pierrick est également à la recherche de bâtiments pour regrouper ses activités. « Est-ce que nous n’allons pas faire rentrer le loup dans la bergerie ? » s’interrogeait Xavier. Le doute s’estompe rapidement et une véritable collaboration se met en place pour déposer les ruches de Pierrick aux bons emplacements en fonction des fructifications des plantes.
L’Earl rénove ensuite une vieille bergerie pour accueillir les installations d’extraction du miel, les activités de conditionnement et le stockage. Il faut dire que l’apiculteur est en plein développement de production et qu’aujourd’hui ce sont 450 ruches qui sont présentes autour des différentes parcelles de l’exploitation. Le bâtiment est loué mais le reste du partenariat est basé sur de l’entraide et des échanges entre les deux parties. Ni l’assolement ni les pratiques n’ont été modifiées car les deux céréaliers pratiquaient déjà des traitements raisonnés.
Des échanges positifs
Ce partenariat entre les cultivateurs et les apiculteurs fonctionne grâce à une bonne transmission des informations et des anticipations. Pierrick est prévenu de chaque traitement pour avoir le temps de fermer ses ruches ou de les déplacer si nécessaire. De son côté, Xavier va s’organiser pour pulvériser aux heures de moindre activité des abeilles. C’est surtout le colza qui est concerné par ces avertis-sements car les interventions insecticides sont plus fréquentes. Un autre apiculteur, Arnaud, est venu rejoindre Pierrick. Lui aussi a accepté et intégré ce « gentlemen agreement ». La ques-tion est de savoir si ce butinage organi-sé a des effets positifs sur les cultures : « Difficile à dire ! Des études sont en cours avec la coopérative Terena pour essayer de mesurer les bienfaits d’une bonne pollinisation » nous informe Emmanuel. Quant à Pierrick, il constate qu’il n’a aucune intoxication d’abeilles mais que la variation des rendements est liée aux variations climatiques d’une année sur l’autre : « En 2020, j’ai récolté 12 tonnes de miel, le double de l’année précédente, soit 40 kg par ruche. »
Les projets de demain
Cette entente va se concrétiser par un investissement dans une nouvelle miellerie que Pierrick projette de construire sur un terrain de l’Earl. Xavier insiste : « On souhaite qu’il reste avec nous car on y trouve notre compte. On va aussi planter des haies et des bordures de champs avec des essences mellifères. » Car, avec les spécialisations culturales, les abeilles sont à la diète entre la floraison du colza et celle du tournesol. À cette période, Pierrick est obligé de les nourrir. L’idée est donc de planter des essences venant en fleur en mai, juin et juillet. Encore le résultat d’un bon raisonnement dans une initiative collective, cohérente et intelligente.
À l’Earl Giret, les innovations ne sont pas high tech mais pleines de bon sens et tout aussi efficaces !