Paroles d'agriculteur
Travailler sa résilience
Publié le 15.11.2022
Au lieu-dit Bruailles à Malvalette, en Haute-Loire, Frédéric Beau, aujourd’hui en individuel, exploite 118 hectares et produit près de 480 000 litres de lait. Installé depuis 2001 en système conventionnel sur un secteur sensible à la sécheresse, cet éleveur laitier a dû s’adapter aux mutations du monde agricole et de la filière laitière en particulier. Il cherche désormais à rendre son exploitation plus résiliente et choisit la stratégie du risque calculé. Il raisonne ses investissements, s’adapte au potentiel du sol de son exploitation et travaille à construire un système autonome, notamment par la création de retenues collinaires. Par ailleurs, il sous-traite un grand nombre de travaux agricoles pour se consacrer pleinement à son métier d’éleveur et garder du temps pour sa famille.
Son parcours
En 2001, Frédéric Beau reprend une exploitation d’une cinquantaine d’hectares et conforte ainsi celle de ses parents, avec lesquels il crée un GAEC. Ils exploitent alors 115 hectares en système herbe et céréales autoconsommées, sur un parcellaire très morcelé, et disposent d’un quota de 250 000 litres. Ils produisent des veaux de boucherie pour pallier le manque de quota laitier. Ensemble, ils œuvrent à restructurer le foncier en pratiquant des échanges avec les voisins. L’objectif est alors de valoriser au mieux le potentiel de production. Ils raisonnent l’investisse-ment pour le limiter au strict nécessaire et choisissent un modèle de production autonome économe leur permettant de dégager un revenu satisfaisant. Après de sévères épisodes de sécheresse et une augmentation du troupeau en lien avec la progression des volumes livrés, les associés travaillent à améliorer le rendement des surfaces pour assurer l’autonomie du système. Ils développent les prairies temporaires et introduisent une part de maïs dans leur assolement pour assurer un volume d’énergie dans la ration. En 2007, en pleine embellie de la conjoncture laitière et dans le cadre de la mise aux normes de leurs installations, ils décident d’agrandir le bâtiment. Les associés gardent la tête froide : « À ce moment-là, on a simplement poussé les murs. On a construit en grande partie nous-mêmes, au moindre coût. On voulait des bâtiments simples et fonctionnels ».
Fin 2010, Jean Beau, père de Frédéric, prend sa retraite, puis son épouse, Marie-Paule, fait de même fin 2018. L’exploitation produit alors 580 000 litres de lait et a arrêté la production de veaux de boucherie, gourmande en main-d’œuvre. Frédéric se projette sur l’avenir en échangeant avec sa compagne, alors salariée en dehors de l’exploitation. Ils dressent ensemble un bilan du parcours réalisé : des sécheresses, la sévère crise laitière de 2009, celle de 2016... Fort de ces constats et peu confiant en l’environnement instable de la filière laitière, Frédéric prend la décision de ne plus augmenter, et réduit même les volumes livrés. Il construit alors une stratégie basée sur 4 principes clés :
- Penser la stratégie de l’exploitation en partant du potentiel du sol : « Sur l’exploitation, on a des sols très hétérogènes. Il faut adapter le choix des cultures au sol que l’on a. Il faut d’abord savoir ce que l’on peut faire avec le potentiel dont on dispose ».
- Produire à moindre coût et notamment toujours raisonner son investissement pour garder un système rentable. Dans cet objectif, il veille à éviter les gaspillages et préfère travailler en préventif. Par exemple, il traite le troupeau avec des huiles essentielles dès les premiers symptômes pour éviter des futurs frais vétérinaires.
- S’informer pour valoriser les opportunités qui se présentent : suivre les marchés et leurs évolutions et regarder ce qu’il se passe autour de soi.
- Orienter l’exploitation pour continuer à faire ce que l’on aime faire et, pour cela, savoir ce que l’on veut faire en ayant défini son projet en famille pour être en mesure de le porter ensemble.
Après la sécheresse de l’été 2022 et au cœur d’une crise économique majeure, quand on parle de résilience à Frédéric, il nous répond : « Je travaille à ce que mon système soit et reste rentable pour pouvoir en vivre et passer du temps en famille ». Avec ce double objectif de dégager du revenu et du temps pour sa vie privée, il implique sa compagne dans ses projets, travaille à bâtir un système cohérent, sobre, en faisant des choix réalistes qui respectent sa vision du métier et qui répondent, en premier lieu, aux besoins familiaux.
Limiter les investissements
Malgré l’évolution du potentiel de production, et à la suite du départ de ses parents, il choisit de limiter l’investissement en matériels et d’avoir recours à des entreprises de prestations agricoles pour une très large partie des travaux du sol et de récolte.
Il explique : « En système polyculture élevage, on a besoin d’équipement pour tout. C’est du matériel cher qu’on ne peut pas rentabiliser sur des petites surfaces. En plus, on est dans une zone où il est difficile de trouver du personnel. Je choisis de sous-traiter, ce qui permet aussi de mener les travaux en chantiers, plus suivis et plus efficients. Et puis, je préfère être avec mes vaches que sur un tracteur ! ». Frédéric a également appris à penser les investissements pour leur confort d’utili-sation et pas seulement pour leur fonction : « Je préfère un tracteur moins puissant mais avec une marche de moins ». Le tracteur le plus utilisé sur l’exploitation est un 70 CV sans cabine. « Ça ne consomme rien et c’est très pratique dans les bâtiments ! ». De même, la localisation et l’implantation du hangar de stockage le permettant, il n’est fermé que sur deux côtés. « L’avantage, en plus de l’économie, c’est qu’il n’y a pas de porte à ouvrir et que je peux constamment garder un œil sur le troupeau ».
Rechercher l’autonomie
Le développement du potentiel de production ne s’est pas fait au détriment de l’autonomie du système. Pour y parvenir, l’éleveur a d’abord travaillé sur le troupeau. Au fil du temps, il fait évoluer ce dernier en faisant du croisement pour passer progressivement en Pie Rouge des Plaines. Il a choisi cette race pour son caractère calme, sa rusticité et son gabarit. « Si je travaille avec peu de concentré, il me faut des vaches qui ont une grosse carcasse et une bonne capacité d’ingestion. Je veux faire un maximum de lait avec du fourrage ».
Dans ce même but, il vient d’investir dans deux retenues collinaires. Son objectif : valoriser les eaux de ruissellement collectées sur les périodes de forte pluviométrie pour irriguer ses parcelles en maïs et les prairies temporaires si cela s’avère nécessaire. La localisation des retenues permet de rendre potentiellement irrigables 40 hectares. Même si la capacité des retenues ne permettra pas d’irriguer toute cette surface, des prélèvements modestes permettront des apports d’eau à des moments clés, pour sauver une deuxième coupe sur des prairies ou la moisson pour les céréales. Par ce biais, Frédéric compte améliorer son rendement en grains et abandonner l’ensilage maïs plante entière, coupe haute qu’il pratiquait, pour récolter du maïs épi, aliment plus riche, moins encombrant et très complémentaire avec une herbe riche en protéines.
En parallèle, il implante des mélanges prairiaux de ray-grass anglais et italien, de trèfles blancs et violets, dont il projette d’augmenter la surface au détriment du maïs. L’exploitant pourra alors augmenter la part d’herbe dans la ration et limiter encore son recours aux tourteaux. « Je cherche à réduire ma dépendance aux achats extérieurs et aux marchés ».
Savoir s’entourer
« On ne réussit pas tout seul. Être résilient c’est aussi être en capacité de se remettre en cause et savoir s’entourer de techniciens, de prestataires… qui comprennent nos attentes, notre projet et notre vision du métier. L’œil extérieur, le regard critique de quelqu’un qui me connaît et qui sait où je veux aller est important ! ». Ajoutons aussi un peu de curiosité. Lire pour comprendre l’évolution de son environnement, regarder ce qu’il se passe autour, s’enrichir de l’expérience des autres… autant de clés pour guider la prise de décision.
Et demain ?
Ses projets pour aller vers toujours plus de résilience ne manquent pas :
- Continuer à réduire progressivement le nombre de vaches, pour alléger la charge de travail, en leur offrant l’environnement et l’alimentation leur permettant d’exprimer pleinement leur potentiel, l’objectif restant de dégager plus de temps pour la vie de famille.
- Progresser dans la connaissance du sol pour en tirer le maximum tout en préservant son potentiel dans le temps. « Je m’interroge sur des itinéraires techniques simplifiés, telle que la suppression partielle du labour ».
- Essayer d’introduire la culture de soja dans l’assolement.
- Installer des panneaux photovoltaïques pour de l’autoconsommation et améliorer l’autonomie globale du système.
- Diversifier ses sources de revenus en investissant dans de l’immobilier locatif par le biais d’une SCI qui porte les bâtiments d’exploitation.
Et si résilience rimait avec bon sens ?