Témoignage client-adhérent Cerfrance
Interview au cœur du Cognac
Quand des viticulteurs valorisent leurs savoir-faire chez leurs voisins
Au coeur du Cognac, la famille Bouché produit des eaux de vie depuis des générations. Les trois frères de la dernière génération se sont installés ensemble pour reprendre le vignoble familial. Ils y ajoutent une activité de vinification et de distillation en prestation de service à leurs voisins. Thomas Bouché nous apporte son témoignage.
Interview de Thomas Bouché réalisée par Jacques Mathé, économiste rural, pour le magazine Gérer pour Gagner n°71 (août-septembre-octobre 2023)
Jacques Mathé : Quelle est l’histoire de votre exploitation ?
Thomas Bouché : Mes parents ont repris ce vignoble en 1989. Il appartenait à la famille de ma mère. Mon père était fils de viticulteur mais le vignoble paternel était destiné à son frère. Avec ma mère et un salarié, ils ont tous les trois conduit leur exploitation sans grand changement en termes de superficie. La majorité du commerce des eaux-de-vie était réalisée avec le groupe Rémi Martin. Récemment, nous avons repris d’autres vignes pour atteindre 60 hectares aujourd’hui. Nous en avons profité pour diversifier nos débouchés, en nous associant avec le groupe Hennessy pour un tiers de nos eaux-de-vie.
J.M. : Et d’autres opportunités se sont présentées ?
T.B. : Tout à fait. Un vignoble attenant à notre exploitation avait été racheté en 2017 par le groupe américain Sazerac, un producteur de brandy et distributeur d’alcool. Les acheteurs cherchaient des viticulteurs, mais surtout des vinificateurs et distillateurs pour assurer cette prestation. Leur premier prestataire ne leur avait pas donné satisfaction. Ils sont venus nous voir en voisins, en sachant que nous avions les compétences pour faire ce travail délicat de vinification et distillation. À l’époque, nous avions déjà trois alambics sur notre domaine et mes deux frères, de par leur formation, possédaient le savoir-faire pour piloter les cinq alambics supplémentaires nécessaires. Pour ma part j’ai une spécialisation en mécanique et machinisme, ce qui complétait bien notre offre de compétences. C’est ce qui nous a incité à créer ensemble notre entreprise familiale.
J.M. : Connaissiez-vous ce groupe américain avant de vous décider ?
T.B. : Oui, ce groupe est réputé pour avoir lancé, dans les années 1850, un cocktail à base de Cognac.
J.M. : Avez-vous dû répondre à un cahier des charges précis ?
T.B. : Pas vraiment, mais nous savions que le niveau d’exigence était important. Le domaine Breuil de Segonzac est conduit en mode biologique. C’est d’ailleurs le plus grand vignoble bio en Cognac ! Tout le Cognac en provenance du domaine prend la direction des États-Unis. Notre travail est facilité par la proximité des installations qui sont attenantes aux nôtres. Cela aide grandement la période cruciale de distillation. Nous distillons de fin octobre à fin février et les journées sont longues pour surveiller les huit alambics. Il n’y pas de cahier des charges précis, mais une confiance mutuelle entre le gérant du domaine et nous s’est développée rapidement.
J.M. : Comment voyez-vous l’avenir ?
T.B. : Nous allons certainement continuer à agrandir notre vignoble et cela va nécessiter des investissements nouveaux pour la distillation. Nous investissons actuellement dans un alambic de 25 HL pour répondre à notre croissance. La demande de prestations de la part des domaines extérieurs va continuer, car c’est une évolution de la structuration du vignoble : conserver le patrimoine, sans forcément faire le travail soi-même. La difficulté à trouver de la main-d’œuvre salariée explique aussi cette demande. Notre expérience avec le groupe Sazerac est une façon de diversifier notre activité viticole en valorisant nos compétences techniques.